Nombreuses sont les publications sur les réseaux sociaux qui clament haut et fort que la pandémie de COVID-19 était annoncée depuis longtemps. Des prédictions de voyance ou des documents gouvernementaux sont parmi les exemples les plus fréquemment cités. Or, s’ils ont correctement anticipé certains aspects de la crise, cela ne veut pas dire pour autant qu’ils l’ont prédite ou que leurs autres prophéties se sont avérées.
Diverses photos d’un paragraphe du livre La fin des temps, publié en 2008 par la voyante Sylvia Browne, font partie des prophéties sur le coronavirus qui circulent le plus. Impossible de savoir combien de fois cette prophétie a été partagée, mais un tweet de Kim Kardashian à son sujet a obtenu plus de 241 000 mentions J’aime. L’extrait en question, initialement publié en anglais, va comme suit :
Vers 2020, une maladie ressemblant à une forme grave de pneumonie se répandra à travers le monde, s’attaquant aux poumons et aux bronches et résistant à tous les traitements connus. Encore plus stupéfiante que la maladie elle-même sera sa soudaine disparition et sa réapparition 10 ans plus tard, avant de disparaître pour de bon aussi rapidement qu’elle était apparue.

PHOTO : FACEBOOK (CAPTURE D’ÉCRAN) – QW4RTZ
Sans contexte, la déclaration peut presque sembler prophétique, surtout si l’on considère la nature subjective de termes comme « grave » et « stupéfiant », comme le souligne le site de vérification de faits Snopes. Un rapide survol de l’histoire de Sylvia Browne démontre toutefois qu’il s’agit probablement d’une coïncidence plutôt que d’une prédiction.
C’est que Sylvia Browne est tristement célèbre pour ses fausses prédictions et voyances. En 2004, elle a annoncé le décès d’Amanda Berry, une adolescente américaine de 17 ans qui avait été enlevée et séquestrée l’année précédente, à ses parents. Lorsque la jeune femme a réussi à s’échapper de la maison de son ravisseur le 6 mai 2013, c’était le silence radio de la part de la voyante, qui a ignoré les demandes médiatiques.

PHOTO : GETTY IMAGES / STEVE SNOWDEN
Voici quelques-unes de ses autres fausses prédictions publiées dans son livre Prophecy: What the Future Holds for You (2004), telles que colligées par l’organisme sans but lucratif américain Center for Inquiry :
- Il y aura un vaccin contre le sida en 2005.
- Il n’y aura plus de simples rhumes vers 2009 ou 2010.
- Vers 2014, une loi stipulera que toute personne prise à accuser faussement une autre personne d’un crime pourra purger la peine que la personne faussement accusée aurait purgée.
- Les télévendeurs n’existeront plus en 2015.
- La stigmatisation des maladies mentales n’existera plus en 2017.
- Beaucoup, beaucoup plus.
Mentionnons d’ailleurs que Sylvia Browne a prédit qu’elle allait mourir à l’âge de 88 ans. Elle est décédée le 20 novembre 2013 à l’âge de 77 ans.
Le garçon indien
Une autre prophétie qui circule abondamment sur le web et qui nous a été signalée par plusieurs lecteurs est celle d’Abighya Anand. Ce jeune voyant indien de 14 ans disait dans une vidéo publiée sur YouTube en août dernier que le monde entamerait une phase difficile de novembre 2019 à avril 2020 en raison d’une maladie. Plus récemment, il a ajouté que le 31 mars sera le « point culminant » de la maladie et que le 29 mai marquera son déclin.
Plusieurs articles ont été écrits dans de multiples langues au sujet de cette vidéo qui a accumulé plus de 4,2 millions de visionnements. Comme c’est le cas pour Sylvia Browne, le fait de creuser un peu dans l’histoire du jeune garçon remet cette prédiction en perspective.

PHOTO : CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE
Sa prédiction quant au pic de l’épidémie est ouverte à l’interprétation parce qu’il ne précise pas quels paramètres définissent le point culminant et le déclin. Plusieurs pays ont effectivement commencé à lever certaines mesures de restriction imposées pour lutter contre la pandémie, mais d’autres, comme les États-Unis, enregistrent de nouveaux records de décès quotidiens depuis le début d’avril. La courbe mondiale de la progression de l’épidémie ne semble pas encore aplatie, et nous devrons attendre au moins une année avant d’avoir un vaccin.
Au-delà de sa prédiction qui pourrait se révéler fausse à la fin mai, le raisonnement derrière celle-ci est loin d’être scientifique. Adepte d’astrologie, Abighya Anand explique que ses choix de dates sont intrinsèquement liés à l’alignement des astres.
De plus, le jeune voyant soutient dans sa fameuse vidéo du mois d’août que la cause de cette crise mondiale est l’omniprésence de l’athéisme. « L’athéisme est la cause de la plupart des problèmes que nous vivons aujourd’hui », dit-il.
Selon lui, la seule manière de passer à travers cette crise est avec la foi et l’astrologie. « La foi, c’est extrêmement scientifique et bien documenté. Si le monde désire la paix, il devra revenir à nos anciennes écritures et adhérer aux principes astrologiques. Tout peut être guéri par l’astrologie », poursuit-il dans la vidéo.
Sa chaîne YouTube est remplie d’autres contenus faisant la promotion d’idées sans fondement scientifique. Il dit entre autres que l’astrologie peut guérir le diabète de type 2 et propose dans une vidéo publiée au début d’avril des remèdes à base de plantes pour le coronavirus.
Le nouveau rapport de la CIA
Ce dernier exemple de prophétie liée à la COVID-19 semble venir d’une source un peu plus officielle : la CIA, l’une des agences de renseignement les plus connues des États-Unis.
La prédiction en question vient du livre Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde demain?, paru en 2008. Voici l’extrait du livre partagé au moins 14 000 fois sur Facebook :
L’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une pandémie mondiale. Si une telle maladie apparaît, d’ici à 2025, des tensions et des conflits internes ou transfrontaliers ne manqueront pas d’éclater.

PHOTO : CAPTURE D’ÉCRAN FACEBOOK
Les détails qui suivent ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. On mentionne entre autres que « si une maladie pandémique se déclare, ce sera sans doute dans une zone à forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux, comme il en existe en Chine » et qu’ »en dépit des restrictions limitant les déplacements internationaux, des voyageurs présentant peu ou pas de symptômes pourraient transporter le virus aux autres continents ».
Ça ressemble étrangement à ce qui s’est passé avec la COVID-19, mais il faut comprendre que Le nouveau rapport de la CIA n’est pas un livre qui avait pour but de prédire l’avenir. Il s’agit plutôt d’une évaluation de la future situation planétaire et des nombreux risques à prévoir, en se basant sur des « dizaines » de spécialistes et des rapports d’organismes comme la CIA.
L’homme qui a écrit la préface du bouquin, Alexandre Adler, explique en entrevue avec la chaîne française Public Sénat, qu’à l’époque, la réflexion était que de « pandémie en pandémie, nous allions avoir une pandémie qui allait véritablement s’étendre à la Terre entière. Pourquoi? Eh bien parce que la mondialisation ».
Questionné à savoir comment les possibilités évoquées dans le passage pouvaient s’être avérées de façon aussi juste, M. Alder répond ceci :
Parce que c’était déjà arrivé. Cela nous ramène aux livres de Tom Clancy, qui lui aussi écrivait à partir de l’expertise de la CIA. Il racontait de manière effrayante une épidémie d’Ebola. Et effectivement, à l’époque, Ebola n’était pas du tout maîtrisée.
Et comme l’a souligné sur Twitter Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), le risque d’une pandémie a été anticipé, parfois très précisément, par les prospectivistes des quinze dernières années. Il cite en exemple au moins cinq rapports des gouvernements américain et français qui évoquaient ce risque depuis 2004.
Pourquoi les prophéties nous attirent
Si ces prédictions ont énormément circulé sur les médias sociaux, c’est parce que bien des gens y ont cru. Mais qu’est-ce qui les pousse à y croire et à les relayer sur les médias sociaux?
« Ce n’est pas forcément irrationnel et ce n’est pas forcément un manque d’esprit critique. C’est plutôt une tentative de comprendre une situation », résume la professeure au Département des sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Stéphanie Tremblay.
Souvent, les explications scientifiques officielles peuvent sembler opaques ou difficiles à comprendre. D’après elle, cela peut constituer l’une des raisons pour lesquelles elles ne sont pas toujours les plus crédibles aux yeux du « commun des mortels », les poussant vers des théories alternatives ou des prophéties.
L’événement est tellement incroyable qu’on ne pense pas qu’il peut juste être une coïncidence, et on se retrouve avec toutes sortes de variables pour que ce genre de croyance soit propulsé sur le marché cognitif.
Stéphanie Tremblay, professeure au Département des sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal
« Et même si nous ne vivons plus dans une société régulée par le religieux institutionnel, la volonté de croire est encore loin de s’essouffler », souligne Stéphanie Tremblay.
« La croyance change, se reconfigure, évolue, et ses formes se sécularisent. Quand on dit qu’on a prédit le coronavirus, ça fait partie de la constellation des croyances alternatives, complotistes ou conspirationnistes qui s’attaquent depuis longtemps aux phénomènes sociaux inexpliqués. Et ce qu’on voit en sociologie cognitive, c’est que le caractère mystérieux d’un événement qui provoque des insécurités, des pertes de repères et des peurs constitue un terreau fertile au déploiement de ce genre de croyance », soutient-elle.
Selon la professeure, ce sont ces réalités ainsi que nos biais de confirmation (cette tendance à chercher des informations qui soutiennent notre propre point de vue), catalysés par les réseaux sociaux, qui nous attireraient vers les discours prophétiques.
Par Nicholas De Rosa
Pour RADIO CANADA
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